Il est des plasticiens qui sculptent la lumière.
D’autres l’emploient pour élaborer des effets formels.
Rares sont ceux qui l’utilisent pour troubler notre perception et nous désorienter dans l’espace.
Ann Veronica Janssens est de ceux-là.
Elle est née en 1956 à Folkestone, dans le Sud-Est de l’Angleterre. Elle travaille à Bruxelles.
Avec l’installation intitulée Daylight blue, sky blue, medium blue, yellow qu’elle crée en 2011, elle entraîne le spectateur dans une vaste boîte blanche saturée de brouillard et éclairée de façon zénithale par des tubes fluorescents recouverts de filtres colorés. Le nom de l’œuvre l’indique : elle utilise quatre couleurs qui couvrent quatre zones dont les limites sont incertaines.
Dès que l’on pénètre dans cet espace opalescent, on perd tout repère spatial et toute appréciation des distances. Chacun avance à tâtons, les mains en avant pour se protéger d’un éventuel heurt ou espérant enfin toucher un mur, une forme matérielle, une issue. Le cheminement dans le brouillard est long, laborieux, hésitant, instable. Si bien que quelques minutes semblent des heures.
Tous nos sens sont aux aguets.
Ann Veronica Janssens dit :
Je me sers de la lumière pour qu’elle s’infiltre au-dedans de la matière ou de l’architecture, afin de susciter une expérience perceptive qui mette en mouvement cette matérialité et en dissolve les résistances.
La lumière n’est plus ici ce qui nous permet de voir le monde, d’en distinguer et reconnaître les formes et les objets. Elle est au contraire ce qui nous empêche de voir. La masse des gouttelettes en suspension renvoie vers notre regard tant de rayonnements, détournés par effet dispersif, que nous ne distinguons pratiquement plus rien. Seules quelques silhouettes sont parfois vaguement discernables lorsqu’on parvient presque à leur contact. Nous ne contrôlons plus rien, nous nous perdons dans l’espace, irrémédiablement égarés.
Ann Veronica Janssens dit encore :
Je m’intéresse à ce qui m’échappe, non pas pour l’arrêter dans son échappée mais bien au contraire pour expérimenter « l’insaisissable ».
Ce qui est fascinant : nous nous frayons un chemin et nous nous perdons au cœur même de la matière rayonnante.
Absorbés par la lumière.
Ann Veronica Janssens cherche obstinément, par le truchement de la lumière, à troubler la perception.
Le brouillard est une de ses matières privilégiées mais certaines de ses œuvres exploitent les effets perturbants du dichroïsme qui sépare les composantes spectrales de la lumière et rend notre œil mal assuré de ce qu’il voit : filtres dichroïques placés devant des sources halogènes (Purple Turquoise, 2006) ou bien miroir fait d’un verre dichroïque feuilleté entièrement brisé (Magic Mirror, 2012).
Elle dit :
Les situations d’éblouissements, de rémanence, de vertige, de saturation, de vitesse, d’épuisement, m’intéressent car elles nous permettent de nous structurer autour d’un seuil d’instabilité visuelle, temporelle, physique et psychologique.
Sa force : nous faire douter de notre propre regard.
Sa malice : nous égarer par la lumière.
Avec Ann Veronica Janssens, la lumière est ce par quoi le monde nous échappe.