À vouloir peindre la lumière, le peintre touche aux limites du figurable.
Qu’une lumière douce, atténuée, éclaire un objet ou effleure un corps, un visage, l’artiste peut en restituer les tons, l’effet sur une chair ou sur une texture, en tracer les contours et les ombres.
Mais peindre une source de lumière lui est impossible. Peindre le soleil lui est impossible.
Il use alors de subterfuges. Il interpose un nuage, un bâtiment. Il saisit l’aurore dans l’instant qui précède l’apparition de l’astre ou bien le moment du couchant lorsqu’il a presque disparu derrière l’horizon.
Peindre la lumière, les estampiers, les graveurs, les eau-fortiers du XVIIe siècle s’y essayent avec obstination.
Leur technique est simple : ils épargnent le fond. Ils laissent un blanc. Procèdent à un évidement. À une mise en réserve.
La lumière devient l’espace figuré où le trait disparaît.
Où la matière picturale disparaît.
Où la pigmentation disparaît.
Où la figuration disparaît.
Peindre la lumière, c’est : ne plus peindre.
Pascal Quignard fait dire à Claude Gellée :
On ne peut peindre que la lumière qui brûle les formes.
Il lui fait dire encore :
Chacun apporte sa petite bûche au bûcher qui éclaire le monde.
Dans l’œuvre du Lorrain, la lumière est dévastatrice.
C’est ce qui fascine Joseph Mallord William Turner.
De Claude Gellée, il est un admirateur inconditionnel.
C’est la même œuvre de dévastation picturale qu’il poursuit à son tour, inlassablement.
Inlassablement il peint une lumière qui brûle les formes.
La lumière de Turner touche aux limites de la peinture.
La disparition du trait, la disparition de la matière picturale, de la pigmentation, la disparition de la figuration, telle est la tâche progressivement accomplie par Michelangelo Pistoletto, au fil de son œuvre.
Sa peinture est figurative. Les personnages représentés sont souvent « grandeur nature ». Il travaille la brillance des fonds afin qu’ils se détachent mieux du support. Il utilise des vernis, des laques. Des ors. Des noirs denses et brillants. À tel point que le visage du peintre lui-même se réfléchit et entre soudain dans le tableau. C’est en 1960. En 1961.
Michelangelo Pistoletto décide alors de peindre ses personnages directement sur des miroirs.
Il épargne le fond. Met en réserve.
Et, progressivement, l’espace peint se rétrécit et la surface réfléchissante gagne de plus en plus de place.
Le lieu d’exposition entre alors dans l’œuvre. Les visiteurs également.
Le miroir réfléchit la lumière qu’il reçoit. Toute la lumière.
Les rayonnements lumineux d’une source. Ceux qui émanent des objets et des corps, réfléchissant les rayons qu’ils ont eux-mêmes reçus.
C’est toute la matière rayonnante du monde qui surgit dans l’œuvre de Michelangelo Pistoletto.
Elle apparaît telle quelle est.
Dans le manifeste de l’Arte Povera, en 1967, Germano Celant note :
La réalité visuelle est telle qu’elle est, telle qu’elle se produit.
Peindre la lumière, c’est ne plus peindre, c’est laisser la lumière librement pénétrer dans l’œuvre et en ressortir.
La lumière.
Telle qu’elle est.
Telle qu’elle se produit.